Shani Diluka : piano
Shadi Fathi : setar
Des claviers ibériques aux steppes d’Orient : les sonates de Scarlatti à la lumière de la musique persane
À première vue, rien ne semble relier Domenico Scarlatti, maître baroque italien du XVIIIe siècle, à la musique persane, ancienne tradition millénaire d’un autre monde. Et pourtant, en écoutant ses sonates, notamment celles composées lors de son séjour en Espagne, un souffle d’Orient semble parfois traverser les harmonies, un soupçon d’ailleurs s’insinue dans les ornements, les rythmes et les mélismes.
Les sonates de Scarlatti, véritables miniatures de virtuosité et d’invention, témoignent d’une curiosité insatiable pour les langages sonores exotiques. Influencées par le flamenco, la musique populaire ibérique, et peut-être par les traces plus anciennes laissées par la culture arabo-andalouse, elles résonnent étrangement avec les modes et les ornementations de la musique persane. Comme dans le dastgāh iranien, Scarlatti exploite les micro-variations mélodiques, les motifs répétés et transformés, les rythmes asymétriques et les couleurs modales qui transcendent les frontières occidentales du baroque. On retrouve dans certaines sonates une approche quasi-improvisée du clavier, semblable au radif persan, cette suite de mélodies transmises oralement et interprétées avec liberté et expressivité. Le clavecin de Scarlatti, avec ses éclats percussifs et ses échos rapides, devient alors un compagnon d’âme des instruments comme le santour ou le târ : des voix de bois et de métal qui dansent entre rigueur et ivresse.
Ce qui unit ces deux mondes, c’est une même recherche d’un discours musical libre, ornemental, vibrant, où l’émotion passe par le détail, l’inflexion, le silence autant que par la note. Si Scarlatti n’a probablement jamais entendu de musique persane de son vivant, son œuvre en porte pourtant l’écho lointain — celui des routes commerciales, des croisements culturels, des mémoires anciennes qui unissent l’Espagne, l’Italie et l’Orient dans un dialogue invisible mais profondément réel qu’elles ont créé Shani et Shadi.
Scarlatti et la musique persane ne se regardent pas à travers l’histoire : ils se reconnaissent. L’un, baroque et catholique ; l’autre, mystique et modale — tous deux enracinés dans une tradition savante, mais toujours prêts à s’ouvrir à l’improvisation, à la surprise, à l’émotion pure.Une même quête de beauté les traverse, entre ordre et abandon dans ce programme inédit.
*Production : Sublimes Portes